les amitiés spirituelles

Un de nos sociétaires étrangers nous écrit que quelques-uns des admirateurs de l’oeuvre de Sédir hésitent à se joindre à nous dans la crainte que cette oeuvre ne soit à tendances trop exclusivement françaises.


Nous désirons nous expliquer là-dessus, une fois pour toutes, afin d’éviter des malentendus qui pourraient froisser les sentiments de nos amis des autres pays, — sans toutefois rien abdiquer de nos convictions et de notre programme, à ce sujet.


Tout d’abord, il est certain que Sédir croyait a la primauté spirituelle de la France et au rôle de premier plan qu’elle est appelée à jouer dans l’expansion de l’idée chrétienne dans le monde — et nous y croyons avec lui. Nous serions mal venus à méconnaître cela, quand les étrangers eux-mêmes l’admettent. S’il nous fallait citer des opinions célèbres, l’espace, dans le présent bulletin, nous manquerait. Puisque nous sommes des mystiques, contentons-nous de voir ce qu’en ont pensé les saints et les mystiques de nationalité non française.


Voici ce qu’a dit l’apôtre polonais André Towianski au général Skrzynecki, en janvier 1841 : « La France, à cause de la nature de son esprit, étant au nombre des nations chrétiennes les plus élevées, a reçu de Dieu la vocation de précéder le monde dans le progrès chrétien et de le stimuler à ce progrès. » (W. SZERLECKA : Un Saint des Temps modernes, page 30).


Dans une autre circonstance, le même Towianski a affirmé ceci : « Une fois son sentiment éveillé, le Français a toutes les facultés nécessaires pour le déclarer extérieurement ; dès que le feu sacré brûle en lui, il en pénètre facilement son corps et agit. C’est pourquoi la France est appelée, la première, à réaliser la vie chrétienne sur un vaste champ terrestre, à être le peuple précurseur du progrès chrétien dans le monde. » (W. SZERLECKA : Un Saint des Temps modernes, page 115).


L’extatique palestinienne Marie de Jésus-Crucifié, carmélite morte en 1878, a souvent parlé de notre pays dans ses visions, et le Père Denis Buzy, aumônier du Carmel de Bethléem, qui a écrit son histoire, dit qu’ « on est surpris de la place que la France tenait dans les préoccupations de la soeur et des termes enflammés avec lesquels elle en parlait dans ses extases. » (Denis BUZY S. C. J. : Vie de Soeur Marie de Jésus Edition de 1922). Dans l’une de celles-ci, du 16 février 1874, elle a entendu le Christ lui dire : « Oui, je ferai mes délices dans le sein de la France ; elle sera encore la reine de tous les royaumes. Mais avant, il faut que la passoire passe ; il faut que la France soit tout à fait rien.... afin que toutes les nations disent entre elles, de génération en génération : Vraiment, c’est le Très Haut qui est à la tête de la France. »


Et dans une autre extase du 16 juillet 1876 : « O cher Rosier (c’est ainsi qu’elle appelait notre patrie), tu fais la joie de mon coeur. On y bâtira un grand salon pour le Maître et le Seigneur dit : je viendrai y habiter avec ma lumière, avec le soleil en plein jour ; mais avant, on brûlera les épines. Oh ! qu’il sera beau le rosier. »


On sait quelle prédilection avait déjà pour notre nation, au XIIIe siècle, le grand saint de l’Ombrie, François d’Assise, sans compter qu’elle est elle-même la patrie par excellence des saints, ainsi que le proclame un grand ex-voto exposé dans la chapelle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus à Lisieux, offert par un prêtre irlandais « à la doulce France, patrie des saints ».


Oublierons-nous que, sur une cinquantaine de canonisations prononcées à Rome, ces dernières années, plus de quarante sont relatives à des saints de chez nous ? Nous n’en voulons tirer qu’une seule conclusion : c’est que nous sommes une nation apôtre par excellence.


Ainsi que le rappelait un distingué prêtre du Chili, venu ici pour prêcher le culte du Sacré-Coeur, la France fournit soixante-cinq pour cent des missions catholiques de l’Univers entier. « Elle a, dit-il, si fortement l’âme apostolique, que lorsqu’on l’a gagnée à une cause, on y a conquis le monde. Voilà pourquoi je travaille chez vous. » (Père MATEO CRAWLEY-BOEVEY : Vers le Roi d’Amour, oeuvre de propagande du Sacré-Coeur, 10, Montée du Télégraphe, à Lyon, édition de 1920).


Et, à propos du culte du Sacré-Coeur et des fameuses visions de Marguerite-Marie Alacoque, nous faisons remarquer que tant à Paray-le-Monial qu’à la Salette, à Lourdes, à Lisieux ou à Ars, c’est en France qu’ont eu lieu les plus éclatantes manifestations de l’Invisible. Le fait seul de Jeanne d’Arc, le plus merveilleux de l’histoire du monde, suffirait à le prouver.


Les saints des autres nations ont senti la valeur spirituelle de notre pays, entre autres saint Dominique et saint Ignace de Loyola, dont René Bazin, dans son livre Les Fils de l’Eglise, a noté l’amour pour la France.


Voici ce qu’a écrit, à ce sujet, dans le supplément littéraire de La Epoca d’août 1927, l’éminent critique espagnol Louis Aranjo Costa : « Nos grands saints, comme tous les grands hommes que l’Espagne a produits, surent unir l’amour de la patrie avec le respect, l’affection et l’admiration que, pour sa noblesse, mérite le pays frère ( c’est du nôtre qu’il s’agit ). Saint Dominique de Guzman, au début du XIIIe siècle, saint Ignace de Loyola, dans le premier tiers du XVIe, ont connu toute la valeur spirituelle de la France ; ils savaient qu’il n’est pas possible de faire un pas en avant dans l’ordre culturel et social sans avoir pour guide les palpitations de ce grand peuple, véritable matrice de la civilisation, depuis la chute de l’Empire d’Occident jusqu’à nos jours. »


Enfin, voici un témoignage imprévu en faveur de la même thèse, qui nous vient récemment par une voix anglo-saxonne d’Amérique. Nous lisons, en effet, dans le Nº de Juillet 1928 de la revue The Theosophical Quaterly, qui paraît à New-York, 64, Washington Mews, à la page 94, l’entrefilet suivant, à propos de l’analyse d’un livre de Hilaire Belloc, également paru à New-York, en langue anglaise. Nous traduisons aussi fidèlement que possible : « Plusieurs étudiants en théosophie sont pleinement d’accord avec Hilaire Belloc, en estimant la vie spirituelle de la chrétienté comme l’un des grands trésors de l’espèce humaine. Et ces étudiants sont, de plus, en parfaite harmonie avec l’auteur en retenant que la vie spirituelle de la France est aujourd’hui, a été pendant des siècles et peut encore être pour des siècles à venir l’espoir d’une future Civilisation chrétienne. »


Qu’est-ce à dire ? Allons-nous en tirer une vaine gloire en faveur de notre pays ? Nous ne serions pas des vrais mystiques, si nous le faisions, car nous savons que tout bien vient de Dieu seul et est un don gratuit qu’on peut perdre si on s’en prévaut orgueilleusement. De même que le disciple se considère comme zéro et tremble dans le sentiment de la responsabilité des faveurs reçues, une nation, être collectif, doit d’autant plus s’humilier que le Seigneur lui aura davantage donné. Tout être n’est qu’un instrument entre Ses mains divines.


Chaque peuple a, du reste, sa mission particulière qui ne manque pas de noblesse et de beauté. Notre tâche, c’est d’être des apôtres de l’idéal dans le monde ; nous n’avons à en tirer aucune vanité, mais nous devons le rappeler souvent aux Français qui seraient tentés de l’oublier. Que nos amis et adhérents étrangers ne s’en froissent nullement. Nous leur présentons toutes nos excuses si, parfois, involontairement, nous avons pu blesser leur susceptibilité à cet égard.


La mission du Verbe est universelle et Il n’a pas de préférence arbitraire en faveur d’une nation quelconque. Tous les hommes sont Ses enfants et tous sont appelés au salut qui vient de Lui. Cela ne L’empêche pas d’avoir confié à chaque peuple un travail déterminé que ce peuple serait coupable de méconnaître et de négliger.


Pour ce qui concerne notre société, elle ne s’appelle pas « Les Amitiés Spirituelles Françaises » mais seulement « Les Amitiés Spirituelles ». Tous ceux qui croient au Christ-Dieu y sont donc reçus à bras ouverts, à quelque nation qu’ils appartiennent. Nous les considérons comme de vrais frères, nos égaux. Ensemble nous travaillons au règne de ce Christ dans le monde, sans la moindre idée de supériorité pour nous ou pour notre pays ; mais eux-mêmes reconnaissent volontiers la mission spéciale de la France à cet égard et ils l’aiment comme « leur seconde patrie », pour rappeler ce qu’a dit d’elle un célèbre écrivain étranger.

Les Amitiés Spirituelles et la France

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