les amitiés spirituelles

Bulletin n°3, 1928

ibant Magi, quam viderant, Stellam sequentes praeviam ;

Lumen requirunt lumine Deum fatentur munere.


Coelius Sedulius (Ve siècle).


Les Mages allaient, suivant l’étoile qu’ils avaient vue,

laquelle allait au-devant d’eux et ainsi avec la lumière ils cherchent la lumière

et par leurs présents ils confessent que Jésus est Dieu.



d’Asie-Mineure commémoraient le 6 janvier le baptême de Jésus, c’est-à-dire le jour où la divinité du Christ a été révélée au monde par le témoignage de Dieu Lui-même (1). Déjà au Ier siècle, la secte gnostique des Basilidiens célébrait ce jour-là le baptême du Sauveur. Les communautés d’Occident, qui fêtaient le 25 décembre la naissance du Fils de Marie, commémoraient le 6 janvier l’adoration des mages. Plus tard, les Eglises d’Orient, qui célébraient en même temps le baptême et la Nativité, adoptèrent à leur tour la fête du 25 décembre.


La première manifestation de la divinité du Christ fut donc celle des mages venus de cet Orient où régnait le paganisme. C’est ce qui fait qu’entre tous les récits de l’Evangile de l’Enfance, leur histoire rayonne un charme poétique, une beauté spirituelle qui lui donnent une place de choix. Et cependant il nous paraît que l’adoration des bergers s’élève à une altitude autrement sublime ; les mages étaient assez grands pour être instruits pair un signe, les bergers étaient si petits que l’adorable Mystère leur fut révélé par des anges. Et puis, si splendide que furent les présents des mages, que sont l’or et l’encens et la myrrhe au regard, de l’offrande des bergers qui ne possédant rien, donnèrent l’unique trésor qui leur appartint — leur coeur — à l’Enfant qu’ils adoraient ? C’est pourquoi, devant l’adoration de ces humbles on ne peut que se taire et, si nous nous enhardissons à parler des mages, c’est qu’il nous semble possible, grâce aux textes évangéliques et aux relations des plus anciens écrivains chrétiens, de reconstituer le cadre où s’accomplit leur queste du Dieu fait homme.


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S. Cyprien, au IIIe siècle, est le premier à donner aux mages la dignité royale. Rien toutefois ne permet de dire qu’ils fussent rois (2). L’opinion qui leur prête ce titre vient de la parole du Psaume LXXII, 10 : « Les rois de Tharsis et des îles paieront tribut, les rois de Séba et de Saba offriront, des présents, tous les rois se prosterneront devant lui ». Mais ce texte ne vise pas spécialement les mages, bien qu’ils aient été les premiers parmi les païens à adorer le Christ. Au reste, l’Evangile arabe de l’Enfance. (Ch. VIII) dit qu’à leur retour dans leur pays les mages furent reçus et interrogés par leurs rois et par leurs princes.


Il est à peu près impossible de préciser d’où ils sont venus. L’Evangile les fait venir d’Orient. En tous cas il n’y avait de mages qu’en Perse, en Médie, peut-être en Assyrie et en Chaldée, pays qui faisaient alors partie de l’empire des Parthes. Or ces pays sont tous à l’Est ou au Nord-Est de la Palestine (3).


Les anciens Pères disent qu’ils étaient trois. Cette fixation a été inspirée par le nombre des présents offerts (4). D’après les traditions syrienne et arménienne ils étaient douze. Sur certains monuments on voit deux mages, sur d’autres quatre, parfois huit. Quant à leurs noms, un manuscrit du VIe siècle, conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris et intitulé Excerpta Latina Barbari, les appelle Bithisarea, Melichior et Gathaspa. Un traité attribué à Bède le Vénérable et qui remonte au début du VIIIe siècle (les Excerptiones Patrum) nomme les mages Melchior, Balthasar et Caspar (Gaspard) (5). Ce sont ces appellations qui ont prévalu.


L’Evangile dit qu’ils vinrent adorer le roi des Juifs parce qu’ils avaient vu son étoile en Orient. C’est la preuve qu’ils attendaient le signe qui devait accompagner la naissance du Sauveur. L’astronome Képler a montré, dans deux écrits, que l’an 747 de Rome, qui paraît être la date vraie de la naissance de Jésus, on a vu en conjonction, aux mois de juin, d’août et de décembre, les planètes Saturne et Jupiter dans le signe des Poissons et que, l’année suivante, Mars est venu se joindre à ces planètes aux mois de février et de mars. Réunion extrêmement rare des planètes appelées autrefois supérieures. Nous croirions plutôt qu’il y eut un phénomène astronomique particulier : « Nous avons vu Son étoile. » (6).


On a beaucoup épilogué sur la question des mages aux Jérusalémites : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » — L’Evangile en donne la réponse. La parole des mages : « Nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer » montre que l’astre annonciateur ne les a pas accompagnés, comme on l’a cru, dans la première partie de leur voyage. Ils n’auraient eu, dans ce cas, besoin d’interroger personne. Dès qu’ils l’ont vu briller au firmament, ils ont compris que les temps étaient venus et ils se sont mis en route vers la Palestine. Parvenus dans la capitale de ce lointain pays, ils s’informèrent (7). Au reste l’Evangile dit formellement, lorsque les mages quittèrent Jérusalem pour le lieu de la Nativité, que, « voyant l’étoile ils furent remplis d’une grande joie ». Cette joie ne s’expliquerait pas si, depuis leur départ d’Orient, l’étoile les avait constamment précédés ; s’ils furent si heureux de la voir reparaître c’est assurément qu’il y avait longtemps qu’ils ne l’avaient pas aperçue. De plus, cette disparition et cette réapparition confirmeraient qu’il y eut non pas une conjonction de planètes, mais un phénomène astronomique particulier.


Et voici le fait digne de retenir l’attention : ce fut le tyran Hérode, instruit par la prophétie de Michée que lui avaient fait connaître les scribes d’Israël, qui renseigna les mages et « les envoya à Béthléhem ».


On ne sait le moment de leur arrivée. Il est douteux qu’ils soient parvenus à Béthléhem treize jours après la Nativité, comme le croyait saint Augustin. Ils durent arriver après la présentation de Jésus au Temple (8), car l’hostilité d’Hérode, allumée par la démarche des mages, aurait rendu cette présentation pour le moins difficile. Au reste, si, comme l’ont pensé plusieurs écrivains des premiers siècles (9), l’étoile apparut en Orient au moment de la Nativité, un certain temps était nécessaire aux mages pour parvenir à Béthléhem : de Perse en Judée il fallait au moins quarante jours de marche (10).


Et ils adorèrent l’Enfant et ils lui offrirent des présents : l’or au Roi, l’encens au Dieu, la myrrhe à l’Homme qui devait souffrir, mourir et être enseveli (11).


Dans les oeuvres de saint Jean Chrysostome figure une homélie d’un auteur inconnu (Opus imperfectum in Matthaeum) où Il est dit que les mages arrivèrent de cet Orient d’où vient le jour et d’où est venu aussi le commencement de la foi, pour être le jugement des païens et la confusion des juifs, prophétisant la loi future des premiers et condamnant l’incrédulité présente des seconds. Et l’auteur ajoute que, dans la suite, les mages, de retour dans leur pays, furent baptisés par saint Thomas et prêchèrent l’Evangile avec lui.


Enfin une légende du XIIe siècle rapporte que les reliques des mages auraient été trouvées en Perse par sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin, et auraient été transportées à Constantinople, puis à Milan à la fin du Ve siècle et, de là, à Cologne sous l’empereur Barberousse (1163).


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Voici à peu près tout ce que l’on sait concernant les mages et c’est assurément une fraction infime de ce qu’il y aurait à savoir. Il faut se résigner à demeurer dans l’ignorance, puisque tel est le providentiel dessein à notre égard. Mais comme il est réconfortant de penser que dans cet Orient

mystérieux, d’où nous sont venues et d’où nous viennent encore tant de prestiges et tant de fruits vénéneux, il y a eu des êtres qui attendaient l’avènement du Sauveur promis ?


De tels êtres existent dans tous les mondes. Inconnus de la foule et peut-être aussi de l’élite, ils sont le lien mystérieux qui, par delà les fantasmagories du Créé, rattachent le Relatif à l’Absolu ; veilleurs dans la nuit, ils attendent que sonne l’heure de la divine Epiphanie ; ils sont, parmi les créatures, les ambassadeurs du Souverain universel, les annonciateurs et les témoins de Celui qui est tout ensemble le Roi, le Dieu et l’Homme et qui a dit : « Nul ne vient au Père que par Moi ! ».



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(1) « Tu es mon Fils bien-aimé ; 4 en toi je prends plaisir. » (MARC 1, 11).


(2) Un demi-siècle avant Cyprien, Tertullien (Adversus Judaeos 9, contra Marcionem III, 13) dit seulement qu’en Orient les mages étaient « presque des rois ».


(3) Justin (Contre Tryphon 77-78), Tertullien (Adversus judaeos 9, contra M 6 arcionem III, 13), Epiphane (Expositio Fidei 8) en font des Arabes. Or il n’y avait pas de mages en Arabie.


(4) L’Histoire de la Nativité de Marie et de l’Enfance du Sauveur ch. XVI détermine clairement le nombre des mages en disant : « L’un offrit de l’or, l’autre de l’encens, et l’autre de la myrrhe ».


(5) Il a été prouvé que le texte de Bède le Vénérable est la traduction d’un original grec (voir Hugo Kehrer : Die Heiligen Drei Kônige in Literatur und Kunst, Leipzig 1908, tome 1, p. 66 et suiv.). Donc la tradition occidentale et la tradition orientale sont d’accord, dès avant le VIIe siècle, pour donner des noms aux mages. Les Syriens les appellent Zar vandad, Hormisdas, Guschnasaph ; les Arméniens, Kaghba, Badadilma, Badadakharida. Une tradition irlandaise antérieure au XIe siècle les nomme Melchar, Caspar, Partifarsat. L’évêque Zacharie, dit le Chrysopolitain, qui devait vivre en France au milieu du XIIe siècle, dit qu’ils se nommaient en grec Apellius, Amerus, Damascus, et en hébreu Magalath, Galgalath, Saracin ou Saraïm. Anne-Catherine Emmerich les appelle Mensor, Saïr, Théokéno (Visions, trad. d’Ebeling, Paris 1864 P. 127 et suiv.). On a voulu voir en eux les descendants des trois races issues de Noë : Balthasar, nom chaldéen, désignerait les descendants de Sein, qui peuplèrent la Chaldée ; Melchior (Malkî-or=roi de la lumière), les Egyptiens et les Ethiopiens, fils de Cham ; Caspar, habitant les bords de la mer Caspienne, rappellerait la race de Japhet. Mais

tous ces pays ne sont pas à l’Orient de la Palestine.


(6) Il est à remarquer que, lors du retour du Christ, il se produira un phénomène semblable. « Alors apparaîtra au ciel le signe du Fils de l’Homme. » (MATTHIEU XXIV, 30)


(7) Saint Jérôme, dans son Commentaire sur Saint Matthieu I, 2, dit que les mages vinrent pour la confusion des juifs, « afin que les prêtres, interrogés par les mages où le Christ devait naître, fussent inexcusables de son avènement ». Et il ajoute : « Ils s’en retournèrent par un autre chemin, parce qu’ils ne devaient plus se mêler avec l’infidélité des Juifs ».


(8) Donc au moins quarante jours après la Nativité (Lévitique XII, 11 2-4). L’Enfant n’était déjà plus dans la crèche, mais « dans une maison » (MATTHIEU II, 11). D’autre part, LUC (II, 39) mentionne un voyage de la Sainte Famille à Nazareth après la présentation ; les mages seraient donc arrivés après le retour à Béthléhem. D’ailleurs, l’Évangile dit formellement (MATTHIEU II,13) que c’est après le départ des mages que Joseph, divinement averti, s’enfuit en Egypte pour soustraire l’Enfant à la fureur d’Hérode.


(9) Notamment saint Augustin dans son Quatrième Sermon sur l’Epiphanie.


(10) Une ancienne légende prétend que les mages eurent besoin de quarante jours pour venir à Béthléhem, mais qu’il leur fallut deux ans pour s’en retourner.


(11) Irénée (Adversus Haereses III, 9, 2), Origène (Contra Celsum I, 6o), Hilaire (In Matthaeum I, 15), Ambroise (In Lucam II, 44), Jérôme (In Matthaeum I, 2), Grégoire le Grand (Homilia in Evangelia X, 6), etc… Maxime de Turin (Homélie XXI) voit dans l’encens le symbole du sacerdoce du Christ.

Sur l’Epiphanie par Emile Besson

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