les amitiés spirituelles

Si, pour certains lecteurs, l'œuvre de Sédir peut s'imposer d'emblée, c'est bien qu'elle correspond à un état d'âme, à un besoin immédiat et secret, car il n'a jamais voulu s'imposer par des moyens d'intimidation ou de bluff. L'originalité de ses dires réside bien plus dans son désir de ne pas en vouloir une ; étant donné que par sa nature appliquée en toutes choses, persévérante même, dès « cette fameuse rencontre » bouleversante dont il parle comme le point culminant de sa vie, une nouvelle conscience lui fit constamment remettre en chantier cet ouvrage où réside incontestablement la concentration particulière d'une pensée qu'il devait prendre comme une mission ; mission lui donnant de transcrire ce qui lui venait du seul Maitre capable de laisser au-delà du temps et des mondes les ferments devant germer un jour. Il savait, par expérience. que cet enseignement ne pouvait s'adresser qu'à des âmes isolées bien plus qu'au grand public avide de mots et aveuglé de fausses connaissances.

Il ne voulait pas parler pour ne rien dire, ni comme un orateur, mais comme le porteur d'un message confié au meilleur de lui-même et qu'il gardait pour le communiquer à bon escient à des fins de durer. Cherchant donc à donner à sa pensée une qualité en termes aux mots appropriés, son débit devint plus lent, créant dans les salles où il parlait une atmosphère particulière d'attention, de recueillement souvent. Comme en certains textes de Péguy, revenant constamment vers un but précis, la conviction profonde de Sédir dans ses causeries donnait l'impression d'une « conversation ». Il trouvait surtout dans les réponses faites aux questions individuelles (terminant généralement l'heure) la phrase-clef pertinente (parce que simple) entraînant bien plus à la méditation qu'aux vaines polémiques de réunions. Ainsi les structures d'une solide doctrine inspirée se préparaient, dès le début, aux premiers programmes de conférences faites à Paris ou à Nice et même jusqu'aux « Clubs du Faubourg » qui étaient alors très à la mode.

Toujours concentré et maître de lui, désirant surtout faire atteindre sa pensée, il arrivait à tenir son public en haleine ! A ceux qui, par la suite, se proposaient de le suivre et de parler à des groupes de Province en formation, il conseillait pratiquement de ne pas se préoccuper du public qui se tenait devant eux, de bien tenir leur idée, de sérier constamment le sujet choisi : « pensez que vous apportez dans le creux de votre main quelque chose de précieux que vous avez à faire comprendre en le développant point par point » disait-il, ce qui doit correspondre, en général, à l'esprit de certaines conversations amicales, particulièrement intimes et chaudes. Toutes ces conférences, faites en des périodes plus ou moins espacées demeurèrent en des notes, de la sténographie, des souvenirs qui furent repris, rectifiés, groupés par la suite et transcrits avec ce style châtié et pur qu'il savait avoir parce que tout était acquis, travaillé antérieurement en de nombreuses lectures étudiées la plume à la main.

Du fait que le Christ prenait la première place dans sa pensée et logiquement dans sa vie toute entière, son œuvre s'était orientée et l'Evangile devenait son moyen, son but, mais un Evangile vivifié, dégagé d'obscurités, de beaucoup de bruit et de points de vue prétentieux dans lesquels il demeurait enseveli depuis longtemps. Son inspiration, il faut le préciser, fut directe sans qu'il veuille la garder personnellement. Dans ses livres, certains passages, bien que nuancés, touchant à la révélation peuvent communiquer l'émotion. C'est ainsi qu'à la relecture une phrase qui semblait rencontrer le roc donne le choc intérieur faisant prévaloir le cœur sur l'intelligence pour atteindre à une certitude. Sans parler de ses connaissances presqu'illimitées dans les domaines des Sciences occultes et de leurs mystères - souvent relatifs - Sédir avait, de plus, approfondi toutes les formes religieuses anciennes, et peut-être plus encore celle, de son enfance pieuse, que des réflexions et des révélations avaient dépassée jusqu'en un mysticisme qu'il désirait représenter avec équilibre.

Ce qui fait durer sa doctrine - malgré ses sévérités - réside particulièrement dans l'adaptation constante à la vie dans quelque domaine ou période que ce soit; ce voisinage de connaissances secrètes restant en soutien arrive constamment à enrichir le thème primordial c' est-à-dire celui que, par son amour, Jésus a sanctifié de sa chair et de son sang et que réfracte l'Evangile de Jean.

Socialement parlant, Sédir, vers la trentaine,  ayant perdu sa femme, laissa son emploi à la Banque de France, se dégageant des soucis matériels, s'étant, en conscience, donné au Christ, c'est vers les fidèles qu'il avait gardés de l'Ecole Hermétique qu'il se tourna, ouvrant en même temps sa porte chaque semaine à l'apostolat du tout-venant, se préparant ainsi un nouveau public. Ce fut là un contact humain en profondeur où se réalisait, sur une plus large étendue, sa pêche des hommes ! II devenait, pour cela, plus circonspect vis-à-vis des multiples états d'âmes, des souffrances morales, physiques, pour un même problème transposé et gradué selon chacun ; il fut le berger de compassion et de patience.

Devant les chercheurs, les inquiets, et les découragés, son souci était de construire pour l'avenir sans heurt, esprit que l'on retrouve dans son abondante correspondance. C'est ainsi qu'il écrivait à un de ses jeunes amis aux armées, en 1914, qui lui faisait part de l'entente qu'il trouvait avec un camarade, curé de campagne aux idées très ouvertes avec lequel il pouvait parler librement : « ne le trouble pas », le mettant en garde contre un désir de vouloir transformer trop vite l'optique d'une âme déjà engagée par ses vœux et surtout en une confession religieuse nécessaire à beaucoup de gens et réclamant donc une conviction profonde. Voulant présenter et enseigner ce que Jésus peut apporter à chaque chrétien en herbe, il lui paraissait nécessaire de ne pas toujours vouloir l'immédiat mais de comprendre que cela peut avoir des suites ; et considérant les circonstances, les âges et les perspectives offertes, les conseils se nuançaient évitant des dangers toujours possibles.

Un jour, reçu chez un ami dont la femme, très religieuse, faisait partie du tiers-ordre franciscain, celle-ci, très convaincue, avait engagé un débat sur certains points théologiques s'opposant à la mystique de Sédir ; cela s'était déroulé courtoisement, mais sans résultat de part et d'autre, ce qui arrive le plus souvent par des positions prises sincèrement. Mais, pour remercier de l'accueil arrivait le lendemain une série d'ouvrages spiritualistes et de vies de Saints correspondant aux discussions et portant tous « l'imprimatur ».

Un demi-siècle après, le bilan de cette grande vie laisse un puissant effort à la réalisation d'une aurore certaine. Serviteur parfait, son seul souci demeurait, dans quelque circonstance que cela soit, l'aide au prochain sans rien en attendre.

Sédir, son école par Max Camis

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