les amitiés spirituelles

André Towianski et le christianisme spirituel

Il semble rentrer dans le plan providentiel que tout événement important qui intéresse la vie profonde de l’humanité soit annoncé longtemps auparavant, afin que les hommes s’y préparent de leur mieux. C’est ainsi que les prophètes d’Israël ont prédit la venue du Messie, des centaines d’années à l’avance, et Jean-Baptiste a été envoyé devant Lui comme précurseur pour Lui préparer le chemin.


De multiples prophéties ont annoncé, à leur tour, les temps difficiles que nous traversons à cette époque et qui préparent eux-mêmes l’avènement d’une forme supérieure du christianisme : cette « adoration en esprit et en vérité » dont a parlé Jésus à la Samaritaine, voici deux mille ans.


André Towianski, né en Pologne en 1799, a été l’annonciateur de la venue de ce christianisme spirituel. Il a consacré sa vie à affirmer que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la vie religieuse de l’humanité, qui consistera non plus dans les formes, les rites et les cultes, mais dans la pratique réelle des préceptes d’amour et de pardon et il s’est efforcé de lui préparer la voie.


Etait-ce vraiment un missionné ? Voilà une première question que l’on peut se poser.


Les signés auxquels on peut reconnaître les envoyés de la Lumière sont multiples ; en voici les principaux :


1º Leur mission doit leur être annoncée et confirmée à eux-mêmes d’une manière explicite.

2º En vue du succès même de leur ministère, ils doivent souffrir et subir les, persécutions et les incompréhensions, le sacrifice étant, dans l’invisible, la force céleste qui féconde toute grande oeuvre.

3º Enfin ils doivent justifier de leur mandat par la noblesse de leur caractère, par la rectitude de leur vie, par des dons exceptionnels, par des pouvoirs authentiques qui portent le cachet du divin.


Or Towianski possédait toutes ces caractéristiques des vrais missionnés.


Dès l’âge de dix-neuf ans, il se sentait appelé à un grand travail. « Il se pénétrait de plus en plus, écrit Mme Szerlecka, de la foi qu’une ère nouvelle commençait pour l’humanité et que Dieu l’appelait, lui, à la haute mission d’introduire, sur toutes les routes de la vie, les préceptes évangéliques entièrement accomplis. Il n’osait en parler à personne. Sa conviction était que le monde serait ébranlé de part en part. »


A vingt-neuf ans, étant devenu l’ami intime de Ferdinand Gutt qui sera plus tard son beaufrère, il lui parla à fond toute une nuit. Gutt, remué d’une manière extraordinaire par cet entretien, aperçut une auréole au-dessus de la tête de son interlocuteur et il y vit apparaître la figure du Christ, comme pour sanctionner ce qu’il venait d’entendre. Il vit cela, étant complètement à l’état de veille.


En décembre 1840, à l’époque même où Towianski allait inaugurer sa mission, le grand poète Adam Mickiewicz, qui se trouvait à Paris avec d’autres émigrés polonais, a été l’organe d’une révélation positive quant à cette mission. Lors d’un banquet publie donné en son propre honneur, il eut une vision et, dans une improvisation inspirée, il déclara, avec une certitude surhumaine, que le temps était proche où un grand serviteur de Dieu paraîtrait au milieu des émigrés à Paris et dont les paroles et les actions seraient un modèle pour le monde, car un ordre nouveau, divin, devait s’établir et amener le triomphe de Jésus-Christ sur la terre.


Quelques mois après, lorsque Towianski arriva effectivement à Paris, Mickiewicz, ayant à peine échangé quelques paroles avec lui, reconnut l’homme dont il avait prédit la venue. Il le reconnut avec une telle certitude que, lorsque Towianski lui dit une parole d’espoir quant à la guérison de Mme Mickiewicz, atteinte de folie depuis plusieurs mois, et enfermée dans une maison de santé, le poète en parla immédiatement, comme s’il avait déjà vu le miracle de ses propres yeux. Il invita chez lui Towianski et quelques personnes, au nombre desquelles se trouvaient des médecins et il se rendit à la clinique où était la malade pour l’emmener à la maison. C’était, le 1er août 1841 :  « Tout le monde était rassemblé au salon, lorsque Mickiewicz entra avec sa femme dont le visage était blanc comme un linge, Towianski s’avança vers elle, lui prit la main et prononça quelques paroles à voix basse. La malade tomba à genoux, puis, s’étant relevée, elle embrassa son mari et ses enfants. Elle était totalement guérie. »


C’était pour toute l’émigration polonaise à Paris une confirmation éclatante de la mission réelle de notre apôtre, qui avait d’ailleurs inauguré son ministère par un grand acte de sacrifice.


Ayant, en effet, hérité de son père en Pologne des biens qui l’auraient mis à l’abri du besoin, lui et sa famille, jusqu’à la fin de ses jours, il avait préféré quitter sa terre, sur l’ordre intérieur de Dieu et était venu en France pour vaquer à sa mission, sachant que son éloignement du pays l’exposait à la confiscation de sa propriété par le gouvernement russe, la loi interdisant alors aux propriétaires polonais les longs séjours à l’étranger.


Moins de deux ans après, ses biens furent effectivement saisis et il mena, dès lors, une existence de privations et de sacrifices.


Mais ce n’est pas tout. Comme il arrive toujours aux serviteurs de la Lumière, les calomnies et les accusations mensongères s’accumulèrent contre lui, venant la plupart du temps de ses propres compatriotes émigrés, de sorte que le gouvernement français une première fois, le chassa de France en 1842, puis le mit en prison en 1848 après le retour de Towianski à Paris, lors de l’avènement de la seconde République. Et cela, sous, la fausse accusation d’avoir pris part à l’insurrection de juin, tandis que, de sa vie, il n’avait participé à Aucune agitation politique. Il né fut libéré qu’au bout de deux mois et demi, lorsque son innocence apparut évidente et grâce à l’intervention de Mme Mickiewicz qui put se faire entendre du général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif. Elle gardait à Towianski une reconnaissance sans borne pour sa propre guérison que nous avons relatée, et pour les autres bienfaits spirituels reçus par son intermédiaire.


Examinons rapidement en quoi consistait la mission de Towianski et en quoi elle intéresse particulièrement notre mouvement des « Amitiés Spirituelles ». Ceux qui ont lu ses écrits ne seront guère étonnés de nous voir affirmer qu’il a, au siècle dernier, enseigné dés choses qui concordent entièrement avec celles que l’on trouve dans les ouvrages de Sédir. Il a donc été un vrai précurseur de notre groupement.


Selon Towianski, comme selon Sédir, le véritable esprit de l’Evangile, le vrai feu chrétien est celui de l’amour et du sacrifice ; les formes, les cérémonies, les rites, les lieux du culte ont une importance secondaire. C’est pourquoi l’apôtre slave, comme l’apôtre français, s’élevait contre la fausse piété ; il disait notamment que « le fait, pour la femme chrétienne, d’abandonner le champ de la vie, de l’action, des devoirs qui lui sont destinés dans le monde, pour devenir une dévote, était une vraie offense à Dieu et un dommage pour la patrie. »


Dans les siècles passés, affirmait-il souvent, on avait surtout fait consister le christianisme dans le sacrifice limité à l’esprit seul, c’est-à-dire dans la prière et les pratiques pieuses ; mais maintenant il s’agit de franchir une étape nouvelle, de monter à une stase plus haute, en étendant le sacrifice au corps, à l’esprit et à l’homme tout entier, afin que toutes ses cellules soient illuminées par l’amour.


« L’homme, répondit-il à un de ses fils qui lui demandait ce que c’était que le sacrifice chrétien, c’est l’esprit qui, par la volonté de Dieu, a été emprisonné dans le corps, dans la matière, pour vaincre les obstacles qui l’entravent et vivre libre sur la terre, afin que l’esprit, c’est-à-dire ce qui est supérieur, vive dans ce qui est inférieur, en liberté, suivant sa loi supérieure. L’amour et la sagesse infinis de Dieu ont de grands buts dans cet emprisonnement, qui est pour l’esprit un état non naturel, mais exceptionnel. C’est, par exemple, comme si on enfonçait un cheval arabe dans la boue, pour que, par la force de l’énergie propre à sa race, il se tire de cette boue et vive, suivant la loi des chevaux, aux champs et dans les prairies, et non suivant la loi des reptiles, qui vivent dans la boue, conformément à leur nature inférieure... »


Towianski affirme que Dieu accorde à l’homme de multiples existences successives pour achever son évolution. Personne ne sera condamné à vivre éternellement dans les ténèbres, car Dieu est père. Il ne crée pas ses enfants pour les perdre, mais pour leur donner un bonheur sans mesure et sans fin.


A cet effet, il y a d’innombrables royaumes dans l’univers, des églises de plus en plus hautes dans lesquelles toute créature est appelée à progresser et à -s’élever de plus en plus, pendant des siècles, selon la pensée du Créateur et à arriver enfin au dernier but qu’Il lui a destiné.


L’Eglise a tenu secret ce mystère du salut pour tous, par prudence, parce qu’elle s’adresse à la foule et qu’à la foule la crainte peut être nécessaire. Il arrive bien à un père et même à une mère de dire à leur enfant indocile : « Si tu ne t’amendes pas, je te jetterai par la fenêtre! » Quand ils n’ont nullement l’intention de le faire.


« Le temps vient cependant, ajoute notre missionné, où les idées fausses et absurdes sur les desseins, les oeuvres et les jugements de Dieu (comprenez entre autres la doctrine d’un enfer éternel), ces erreurs manifestes qui se maintiennent depuis des siècles... tomberont d’elles-mêmes et Dieu sera justifié devant l’homme, sera mieux connu, plus glorifié et plus aimé. »


Au sujet de l’Eglise, Towianski a une définition originale et profonde permettant de comprendre lumineusement les paroles de l’Evangile qui s’y rapportent. Pour lui, appartient à l’Eglise tout homme ou toute femme qui applique réellement les préceptes d’amour et de sacrifice, qui prend courageusement la croix du Christ ; et aucune autorité humaine, quelque haute ou sainte qu’elle paraisse, ne peut retrancher un tel homme ou une telle femme de cette Assemblée des fidèles. C’est l’être humain lui-même qui, en se détournant de Dieu, en ne pratiquant pas les maximes de charité, se retranche librement de cette Eglise intérieure, laquelle est une communion des âmes et non des corps. L’Eglise véritable ne coïncide donc exactement avec aucune des institutions terrestres qui portent ce nom, mais elle se recrute parmi tous les hommes de bonne volonté.


Enfin signalons, en passant, que Towianski avait une grande admiration pour Napoléon Ier qu’il considérait comme l’esprit tutélaire de là France. Il a des transports sublimes quand il parle de lui -« Oh ! lève-toi de ce tombeau, s’écrie-t-il dans un écrit adressé à Napoléon III, le 31 mars 1866, Esprit serviteur de Dieu, Ange de la vie, de l’action et de l’énergie chrétienne, et commence la vie qui t’est destinée ; consomme, de l’autre monde, ce que tu as commencé en ce monde ; continue à réveiller l’esprit de l’homme de son apathie, ainsi que tu l’as fait de ton vivant ; par là, fais vivre le christianisme mort dans le monde, et surtout dans les nations civilisées qui, s’étant vouées exclusivement à la terre, ont négligé le Ciel et le christianisme qui en est la route... Que la Terre, en dépit de ses lois ennemies du Ciel, connaisse ta mission chrétienne, et te reconnaisse tel que tu es devant le Ciel... Que la grande nation qui t’a suivi, pendant ta vie ici-bas, suive au plus tôt ton esprit, tes saintes inspirations ! »


Mais si, selon Towianski, une forme supérieure du christianisme doit un jour prochain régner sur la terre, celle-ci doit auparavant souffrir beaucoup, tout enfantement étant précédé de douleurs.


« La résistance de l’homme à la Volonté suprême transmise au monde il y a plus de dix-huit siècles, est arrivée à son comble, écrit notre missionné, et, pour le monde, ont commencé des jours sombres et douloureux, jours de jugement... »


Cette prédiction, cette vraie prophétie de notre Apôtre, nous ne voyons que trop, hélas ! Sa réalisation commencer de nos jours. Mais ne nous laissons pas décourager, au contraire ! N’est-ce pas dans les passes dangereuses que les rameurs voient avec étonnement leurs forces décupler pour tenir en échec la violence du courant ? C’est dans les heures angoissées que les hommes aussi doivent retrouver des sursauts surhumains d’énergie pour faire face au péril.


André Towianski, voyant en apparence l’effort de toute sa vie tenu en échec par les puissants de ce monde et par les grands dignitaires qui ont refusé de l’écouter, eut malgré tout une confiance indéfectible dans le triomphe prochain de l’Idéal christique et il est mort en souriant et en disant à son disciple Baykowski, qui l’assistait à son chevet : « Les choses iront mieux plus tard ! »


Bulletin 37, octobre 1937

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