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« Comme Jésus nous a aimés, nous aussi, aimons-nous les uns les autres »



Extrait du Bulletin n° 298, avril 2024


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Quelques mystiques slaves (II) :

André Towiansky

par Pierre Urbansky


Né en 1799, en Pologne lituanienne sous occupation russe, Towiansky reçut le nom d'André, le premier apôtre (Mt. 4,18), l'Apôtre de la Croix, qui passe pour avoir le premier porté l'Évangile dans les contrées slaves. La fête de Saint André le 30 novembre, est destinée dans l'année liturgique, à clore le cycle qui s'éteint et à briller en tête du nouveau qui vient de s'ouvrir.1


Dès son jeune âge il manifesta une grande compassion pour toute créature souffrante, une horreur de tout mal et un ardent amour de la vérité. Bien que zélé pour l'étude, à 12 ans il ne put plus rien étudier dans les livres, il ne comprenait plus rien. Alors il s'efforça d'éveiller en lui l'amour pour ce qu'il avait à faire, éveiller en lui la vie intérieure. Et soudain il fit des progrès rapides. Désormais sa direction intérieure sera prise ; en tout et pour tout il s'adressera d'abord à Dieu. Il dira plus tard: « Dans chaque circonstance l'homme doit combler une certaine mesure de prière, d'efforts et de pénitence pour mériter de connaître la volonté divine. Ce travail accompli dans le renoncement de soi-même, de ses idées propres, c'est le sacrifice chrétien, l'essence de la croix de Jésus-Christ. »


En 1840 il eut une vision qui le poussa à rejoindre les rescapés de l'insurrection polonaise de 1830 dans laquelle une grande partie de la noblesse avait perdu ses biens et ses droits. Il quitta donc la propriété qu'il hérita de son père et se rendit à Paris où il s'adressa à ses compatriotes pour annoncer « que le Royaume de Dieu s'est approché et appuiera plus visiblement dans l'homme la parcelle divine pure, (...) qu'il est plus facile à l'homme d'obtenir la Grâce de Dieu et, à l'aide de cette Grâce, de se régénérer et vivre chrétiennement. (...) que la lumière céleste de l'Évangile sera de plus en plus connue et accomplie... ».


En ce temps-là, comme encore aujourd'hui, la vie religieuse de nombreux croyants se réduisait aux "pratiques religieuses" : assister aux offices, faire ses pâques, accomplir ses devoirs religieux, sans oublier les activités philanthropiques. Une vie bien remplie, positive à maints égards, mais qui risquait pourtant de n'avoir aucun lien avec la vie spirituelle proprement dite.


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Towianski voulait que le sacrifice ou l'effort chrétien s'étende au corps, à l'esprit et à l'homme tout entier, afin que toutes ses cellules soient illuminées par l'amour, afin que toutes les actions prennent naissance dans le cœur et portent l'empreinte de la volonté de Dieu. Sa contribution n'était pas d'apporter un enseignement nouveau mais une force nouvelle, force qu'il pouvait communiquer par ses conseils car « Tout ce qu'il disait était vivant, pratique, incarné en lui. » Déjà saint Vincent de Paul avait dit: « Car ce n'est pas tout d'avoir la charité dans le cœur et dans les paroles ; elle doit passer dans les actions, jusqu'à donner sa propre vie, s'il le faut, ainsi que Notre-Seigneur a donné la sienne, et alors elle est parfaite et devient féconde ; elle engendre l'amour dans les cœurs envers lesquels elle s'exerce. » Et plus tard Sédir écrira: « Seule, la triple Communion avec le Verbe, par la pensée, par l'amour et par l'acte, détermine la transsubstantiation du moi. »2


Towianski cacha tout ce qui dans sa vie intérieure pouvait sortir de l'ordinaire. Les quelques aperçus mystiques qu'il confia à ses interlocuteurs furent vite interprétés de travers et servirent plus à alimenter l'orgueil spirituel qu'à inspirer un zèle pour le service de Dieu. Aussi, vers la fin de sa vie, il révisa les notes d'entretiens et élimina tout ce qui n'avait pas de relation directe avec le sacrifice et la charité dans la vie quotidienne. Ces notes sont le résumé des conseils qu'il donna à tous ceux qui sollicitèrent son aide et à travers les conseils pratiques qu'il prodigua laissent deviner la flamme de l'amour de Dieu qui brûlait en lui.


Dans sa vie publique il s'adressa au Pape, aux rois et aux tsars pour leur demander de se conduire selon l'esprit de l'Évangile.  Ses interventions furent ignorées ou attaquées.  Le regroupement qu'il forma à Paris, l'Œuvre de Dieu, se divisa et s'éparpilla lorsqu'il fut exilé de France. Il fut ridiculisé par la presse, calomnié et même combattu par une confrérie religieuse, les Résurrectionnistes (bien que l'un des membres fondateurs devint son fervent disciple après l'avoir rencontré personnellement).  Il s'adressa aussi bien aux Polonais qu'aux Français, aux Juifs qu'aux Italiens, ces derniers lui restant longtemps fidèles. De nos jours, en Pologne, il ne lui reste que la renommée d'un "habile charlatan" car c'est ainsi que ceux qui font le bien ne récoltent que de l'ingratitude.


Pourtant il resta toujours fidèle à sa mission : il perdit les biens qu'il avait quittés, il fut mis en prison, il vécut dans la misère mais il ne changea jamais son comportement ou son enseignement, il ne se découragea pas et mourut en disant : « La prochaine fois ça ira mieux. »


Dans son testament spirituel il dit : « Appelés à être pour le prochain des frères et des serviteurs en Jésus-Christ, servons-le avec amour, sacrifice, humilité et sentiment. Tout ce que nous faisons à son égard, faisons-le sans prévention et sans jugement, et, à plus forte raison sans rabaisser le prochain et sans nous élever au-dessus de lui à cause de ses péchés. Lors même que le prochain subjugué par le mal produirait, comme instrument du mal les fruits les plus mauvais, ne le jugeons pas et ne le condamnons pas ; car (…) nous ne connaissons pas ses comptes devant Dieu. (…) N'admettons pas dans notre âme de ressentiment contre le prochain, (…) maintenons en nous l'amour et le dévouement pour son salut ». Et aussi : « Le sacrifice chrétien c'est le travail pour s'élever et s'unir à Dieu, c'est la croix que Jésus-Christ a présentée à l'homme. Le sacrifice vient de l'amour. Le mobile c'est l'amour de Dieu et la force vient du sacrifice chrétien. L'amour et le sacrifice ne sont point la propriété de l'homme mais un don de la Grâce de Dieu ; ils s'acquièrent par la prière, par le travail intérieur, par la vigilance intérieure ; et ce travail chrétien, tu peux le maintenir plus ou moins dans chaque situation, au milieu de tes occupations terrestres, de tes études, de tes divertissements mêmes, et cela en veillant dans ton âme, en tournant de temps en temps ta pensée et tes soupirs vers Dieu ».


Towianski est venu montrer que - l'amour de Dieu, c'est-à-dire la vocation au Père de toutes nos pensées, de tous nos désirs et de tous nos actes, - et l'amour du prochain, c'est-à-dire l'application au prochain de nos pensées, de nos prières et de nos fatigues, doivent être notre souci dans tous les moments de notre vie et que ce culte en Esprit et en Vérité est possible dans toutes les conditions extérieures.  


Presque à la même époque, en Russie, l'Église orthodoxe sortait de sa léthargie et connaissait un renouveau spirituel dont saint Séraphim est le représentant le plus connu ; nous en parlerons prochainement dans cette série.





1 Dom Gueranger, L’année liturgique, Paris, Oudin, 1889

2 Sédir, Le couronnement de l’œuvre, Bibliothèque des Amitiés Spirituelles, 1926